A retenir : la loi autorise désormais l’exécution forcée des promesses de cession d’actions ; cet outil juridique permet de sécuriser la propriété du capital social, ce qui est crucial pour assurer notamment une liquidité à terme pour les actionnaires.
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La promesse unilatérale de vente de titres est souvent utilisée en droit des sociétés, notamment pour que l’associé majoritaire puisse contrôler le capital de la société : cet acte peut intervenir par exemple dans le cadre de l’octroi d’une participation à un salarié, ou dans le contexte d’une reprise progressive du capital d’une entreprise. Le salarié (en cas de mesure d’intéressement) ou le candidat cédant (en cas de reprise) s’engage alors à céder ses titres dans la société si le bénéficiaire le souhaite ; le bénéficiaire de la promesse peut ainsi choisir d’exercer ou de ne pas exercer la promesse, pendant une durée donnée (fenêtre de tir)
De manière très critiquée, la Cour de cassation s’est toujours refusée à donner force exécutoire à ces accords en cas de révocation du promettant de son engagement de vendre pendant le délai d’option accordé au bénéficiaire. La Cour considérait – improprement selon les commentateurs – que la formation du contrat n’était pas intervenue avant la levée de la promesse par le bénéficiaire. Elle en déduisait au visa de l’ancien article 1142 du Code civil selon lequel l’exécution forcée ne peut être demandée en principe pour les obligations de « faire », que le promettant ne pouvait être forcé à vendre ses titres et devait seulement des dommages et intérêts au bénéficiaire.
La Cour de Cassation avait d’ailleurs réaffirmé ce principe en 2011 au visa des anciens articles 1101 et 1134 du Code civil relatifs à la formation des contrats et à leur force obligatoire (pour une application à une promesse unilatérale de cession d’actions : Cass. Com. 13 septembre 2011 n° 10-19.526).
Tout au plus avait-elle admis en 2006 que le pacte de préférence convenu entre associés d’une société par actions, par lequel un associé s’engageait à donner la priorité aux autres s’il décidait de vendre ses titres, pouvait faire l’objet d’une exécution forcée, lorsqu’un tiers avait acquis les actions au mépris du pacte et connaissance prise de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.
Les praticiens tentaient donc d’inclure dans les promesses unilatérales de cession d’actions et les pactes d’associés des dispositions qui avaient vocation à dissuader le promettant de ne pas s’exécuter, ou de faciliter l’exécution l’engagement ; par exemple :
« En cas de refus d’un Associé de procéder à la signature et/ou la remise d’un ordre de mouvement correspondant à la cession de ses Titres en application d’une promesse stipulée au présent Pacte, il pourra y être suppléé par décision du Tribunal de Commerce de Paris, prise en la forme des référés et statuant à la demande de tout Associé, chaque Associé acceptant irrévocablement l’exécution forcée de ses engagements à ce titre et renonçant expressément et irrévocablement au bénéfice des dispositions de l’[ancien] article 1142 du Code civil à cette fin ».
Désormais, cette jurisprudence est neutralisée par l’article 1124 alinéa 2 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats applicable depuis le 1er octobre 2016, lequel prévoit expressément que :
« La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. ».
Aussi, si le promettant se rétracte alors que la promesse est toujours valable et exercée par le bénéficiaire, la cession est techniquement intervenue.
En outre, la loi a inversé le principe de l’ancien article 1142 du Code civil. Le nouvel article 1221 nouveau du code précité dispose que :
« le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».
Ainsi, le bénéficiaire de la promesse de cession d’actions pourra désormais en obtenir l’exécution forcée devant les tribunaux, s’il exerce la promesse, même si celle-ci a été auparavant révoquée, ce qui va sans doute vers plus de sécurité juridique.
Le promettant de la promesse pourra cependant tenter d’obtenir la nullité de la cession notamment si le prix est déterminé par référence à une formule imprécise, si sa mise en œuvre est en la main de l’une des parties ou s’il n’est pas « sérieux » en étant décorrelé de la valeur réelle des titres (nullité relative pour vil prix : Cass. Com, 22 mars 2016 n°14-14.218).
Compte-tenu de la durée des procédures judiciaires, l’incertitude pesant sur la propriété des actions pourra gêner la prise de décision au sein de la société (si la participation concernée est significative), dans l’attente de savoir qui, entre le promettant et le bénéficiaire, est propriétaire des actions.
Ces écueils ne sont pas cependant pas nouveaux et l’office du juge ou de l’arbitre est alors nécessaire. La nouveauté réside dans la nouvelle limite à l’exécution forcée, l’article 1221 du Code civil prévoyant que celle-ci ne pourra être entreprise s’il existe une « disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ».
Par « coût disproportionné », il faut entendre le coût de la mesure d’exécution elle-même, et non le prix cession. Selon un auteur, cette disposition ne serait pas d’ordre public. Ainsi, il serait possible de l’écarter, sauf abus du bénéficiaire, ce qui permettrait de sécuriser davantage la promesse.
Ainsi, il reste utile de maintenir les dispositions des contrats visant à faciliter l’exécution forcée, même si elle est désormais de droit et de prévoir le cas échéant une sûreté à l’encontre du promettant pour garantir son obligation de faire, ou une clause pénale (pénalité forfaitaire qui pour être valable ne devra pas être manifestement décorrelée du préjudice pouvant découler de l’inexécution contractuelle). C’est particulièrement le cas pour les sociétés qui visent un objectif de liquidité à court ou moyen terme, et qu’un litige sur la propriété des titres peut bloquer.
Rappelons que depuis la réforme, le créancier a le choix entre plusieurs sanctions d’une même inexécution contractuelle, lesquelles pourront être cumulées (article 1217 nouveau du Code civil).
Notamment le créancier pourra faire exécuter lui-même l’obligation par un tiers dans des délais et à un coût raisonnable (art. 1222 nouveau du Code précité), demander au juge de condamner le débiteur à l’avance des frais que la mesure de remplacement occasionne (art. 1222 nouveau du Code civil), demander une réduction de prix en cas d’exécution partielle (art. 1223 nouveau du Code précité), ou la résolution judiciaire de la promesse (art. 1224 nouveau et suivants du Code précité), outre d’éventuels dommages et intérêts (art. 1217 nouveau du Code civil).
Néanmoins, il est à noter que le juge aura la faculté d’accorder au débiteur un délai d’exécution lorsqu’il prononcera l’exécution forcée de l’obligation (art. 1228 nouveau du Code civil).
Les promesses pourront utilement statuer sur ces sanctions du défaut d’exécution, et pourront en écarter certaines, ou les encadrer. Ainsi, les praticiens inséreront très probablement dans les promesses types des clauses encadrant une éventuelle réduction de prix pour inexécution partielle (« pour fixer un seuil en deçà ou au-delà duquel la réduction du prix n’est pas autorisée » : cf. commentaires Yves-Marie LAITHIER in Revue des contrats 01/04/2016) ou l’allocation de délais par le juge (avec un délai maximum stipulé contractuellement et qui devrait s’imposer au juge).
Auteurs : Annabelle THIEFFINE et Marine POURCHAYRE
Voir l’article sous forme pdf : L’exécution forcée des promesses de vente consacrée par la réforme Code civil