Pour un futur repreneur ou un cédant, la lettre d’intention est un passage obligé pour une reprise d’entreprise : son contenu est assez standardisé désormais et des modèles, assez proches les uns des autres, circulent sur internet, peuvent être utilisés sous réserve de ne pas oublier d’adapter au projet qui est poursuivi (1).
Une fois fixé le contenu qui peut être très détaillé, une question revient régulièrement qui est de savoir si cette lettre d’intention peut valoir vente (2) et ce que risque chaque partie en cas de rupture des pourparlers (3).
Avec la réforme récente du Code civil, applicable à compter du 1er octobre 2016, une nouvelle question pourrait être centrale, celle de la confidentialité des informations reçues pendant les négociations, en cas d’échec et de non-réalisation de l’acquisition (4).
- Un contenu standardisé qui doit répondre à des objectifs spécifiques
Vous trouverez dans la partie « downloads » de notre blog des slides de l’intervention de notre cabinet devant un groupe de repreneurs, s’agissant des dix points principaux à traiter dans une lettre d’intention.
Le contenu dépend bien évidemment des objectifs de chacune des parties. L’objectif commun est de s’assurer de l’intention réelle de l’autre partie à céder ou acheter une entreprise, ce qui se décline différemment pour chaque partie.
Pour le cédant :
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Le prix est souvent l’élément essentiel à ce stade pour le cédant et le repreneur doit pouvoir le rassurer sur ce point.
Si les parties ne sont pas d’accord sur la valorisation, le repreneur peut présenter une offre à un niveau sensiblement plus élevé que son appréciation initiale pour se maintenir en lice, mais en l’assortissant d’hypothèses de travail, comme le niveau des résultats anticipés pour l’exercice en cours, qui permettront de revenir sur ce point après l’audit si les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Un complément de prix (ou earn-out) peut également être proposé, qui sera payable en cas de réalisation d’un événement incertain au jour de la lettre d’intention (exemple : résultat de l’exercice en cours supérieur de 10% au résultat précédent). Une partie des résultats futurs seront ainsi partagés s’ils sont en ligne avec les prévisions du cédant, en complément du prix payable au transfert de propriété.
- La situation personnelle du cédant peut également l’amener à être particulièrement vigilant sur toutes les obligations qui pourraient perdurer au-delà de la cession de son entreprise.Notamment un cédant en âge de prendre sa retraite, ou un(e) époux(se) propulsé(e) chef d’entreprise au décès de son conjoint peut imposer, à titre de condition de l’opération, une durée de validité relativement courte de la garantie de passif, ou un plafond faible au regard des pratiques de marché.
Pour les (T)PME, le plafond de la garantie représente souvent 25 à 30% du montant du prix total, mais il pourra fortement décroître, pouvant aller jusqu’à 10% du prix de cession, dans le cadre de rachat par un groupe industriel du même secteur, et/ou pour des entreprises très bien gérées et présentant un niveau de risque faible, notamment si le cédant accepte de réinvestir dans la holding d’acquisition, par exemple. Il n’existe ici aucune règle et bien évidemment, tout est affaire de négociation.
Pour le repreneur :
- Il faut tenter de ne pas se faire enfermer dans une négociation sur le prix avec le cédant, et donc élargir le plus possible le débat en rappelant le niveau d’information reçu, les éléments financiers sur la base desquels la valeur d’entreprise a été évaluée, le cas échéant le mode de passage entre la valeur d’entreprise et le prix proposé (cas des dettes intra-groupes à neutraliser, par exemple), les conditions de la garantie et de l’accompagnement, le calendrier indicatif, etc. (voir la partie « downloads » de ce blog.
- L’essentiel pour le repreneur est de faire œuvre de psychologie, afin d’obtenir une période d’exclusivité suffisante pour négocier le protocole et faire les audits.
2. La signature d’une lettre d’intention peut-elle valoir vente ?
La lettre d’intention permet de donner un « cadre » aux négociations mais selon son contenu, elle peut avoir un caractère plus ou moins contraignant. Il convient donc d’être vigilant et de ne pas signer un document qui permettrait de déduire que le contrat est déjà conclu et qu’il ne reste plus qu’à régler les détails relatifs à son exécution.
En pratique, les lettres d’intention même rédigées sans l’aide d’un conseil incluent désormais des formules types qui permettent d’écarter le risque de requalification en acte de vente : les candidats repreneurs savent très bien stipuler qu’ils ne sont pas engagés à acheter tant que les parties ne se sont pas entendues sur un protocole de cession, et/ou tant que l’audit n’a pas permis de conclure favorablement sur l’état de la société, et/ou le financement obtenu.
Les juges valident d’ailleurs cette pratique. A titre d’exemple, constitue une lettre d’intention non engageante le document portant en tête la mention « sous réserve de contrat » et « sous réserve d’audit » et énonçant, sous la rubrique « conditions essentielles », qu’une offre définitive exigera la réalisation d’un audit satisfaisant et la conclusion d’un contrat de vente acceptable (CA Paris 9-3-2004 n° 02-18445).
Ainsi, si la lettre d’intention ne vaut pas vente, il n’est pas nécessaire de respecter, avant sa signature, le droit d’information préalable des salariés prévu par l’article L23-10-1 du Code de commerce pour les sociétés de moins de 50 salariés (qui dispose les salariés doivent être informés de toute cession d’une participation de plus de 50% des titres de leur société au plus tard deux mois avant la vente).
3. Quels sont les risques en cas de rupture des pourparlers ?
La victime de la rupture des pourparlers ne pourra pas prétendre à être indemnisée au titre de son manque à gagner. A cet égard, l’article 1112 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats applicable depuis le 1er octobre 2016 prévoit qu’ « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ».
Ce faisant, la réforme reprend une jurisprudence constante initiée par le célèbre arrêt Manoukian, selon lequel « les circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat » (Com, 26 nov. 2003, n°00-10.243).
Dans un arrêt récent, il a été jugé en outre que la rupture de pourparlers n’est pas abusive si le prix n’est pas encore fixé (Com. 16 fév. 2016 n°13-28.448).
L’absence de bonne foi et notamment le fait de ne pas respecter l’engagement d’exclusivité (qui peut être éventuellement bilatéral) pourra également constituer une faute susceptible d’indemnisation.
4. Puis-je utiliser les informations confidentielles reçues pendant les négociations, si la reprise n’a pas abouti ?
La clause de confidentialité présente dans la plupart des lettres d’intention, avait traditionnellement pour objet d’imposer au partenaire le silence autour des informations qui lui sont communiquées, telles des informations techniques, commerciales, financières. Cette obligation pouvait aller jusqu’au devoir de ne pas exploiter ces informations, c’est-à-dire de ne pas les utiliser.
L’article 1112-2 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats a étendu l’obligation de confidentialité à toutes les négociations, même en l’absence de clause contractuelle. Il a de plus étendu l’obligation à la charge du récepteur de l’information confidentiel l’interdiction d’ « utiliser » cette information.
Il est ainsi prévu que « celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun ». Cette nouvelle disposition appelle à rédiger de manière plus précise, désormais, les clauses de confidentialité des lettres d’intention.
- Sur la nature des informations confidentielles : il est usuel d’exclure l’obligation de confidentialité aux informations dont le partenaire avait connaissance antérieurement, qui appartiennent au domaine public ou qui font l’objet d’une obligation légale de publicité ou de divulgation. Il sera utile d’élargir cette exception, du côté repreneur, pour viser par exemple les développements effectués par lui-même. Le cédant pourra préciser que ces développements doivent avoir eu lieu… sans l’aide des informations reçues de sa société (de manière indépendante).
- Sur la preuve de la transmission d’une information confidentielle : il faudra si possible tracer précisément l’information reçue ou communiquée par des compte rendus écrits, de préférence en rappelant régulièrement, pour le cédant, le caractère confidentiel des documents, et pour le candidat repreneur, le fait qu’il détenait déjà l’information ou que celle-ci se révèle être du domaine public.
Illustration : les juges ont considéré qu’une société n’était pas fautive, après l’échec de pourparlers avec une autre société en vue de distribuer un produit similaire fabriqué par celle-ci, dès lors que cette dernière société n’était pas en mesure de produire les documents confidentiels qu’elle prétendait avoir communiqués au cours des pourparlers et alors que « le projet de contrat de distribution qui avait fait l’objet de négociations ne faisait aucune allusion à la protection d’un quelconque savoir-faire » (Cass. Com. 21-11-2000, n° 98-17.783).
- Sur la portée de l’interdiction : en principe la confidentialité n’intègre aucun engagement de non-sollicitation des clients ou des salariés de l’entreprise. Elle n’est pas davantage une clause de non concurrence.
Cependant l’interdiction de faire usage à titre commercial des informations confidentielles reçues, posée par la réforme, peut fortement pénaliser le repreneur qui choisirait d’acquérir une autre cible dans le même secteur, même s’il agit de toute bonne foi. Le cédant pourrait alors lui reprocher un usage commercial des informations communiquées pendant les négociations, et il serait peut-être difficile au premier pour le repreneur d’apporter la preuve qu’il n’a pas méconnu l’obligation de confidentialité qui pesait sur lui.
Illustration : dès avant la réforme, les juges avaient d’ailleurs condamné une entreprise, manifestement de mauvaise foi, qui s’était « à l’occasion des pourparlers […] emparé[e] des indications techniques fournies » et qui avait « sans autorisation abusivement mis en œuvre les méthodes ainsi venues à leur connaissance » (Cass. Com, 3 oct. 1978,n°77-10915).
Il serait donc utile, dans les lettres d’intention, de préciser que le repreneur n’entend pas, en cas d’échec des négociations, s’interdire de créer ou d’acquérir une entreprise concurrente. Du côté du repreneur, il faut en tout état de cause se prémunir, en apportant les précisions utiles à son engagement de confidentialité, de cédants peu scrupuleux qui voudraient à bon compte de défaire de potentiels concurrents.
Ce qui revient, pour le cédant, à s’interroger de savoir s’il n’exige pas, à l’inverse, un engagement de non concurrence avant de donner accès au savoir-faire et autres informations commerciales stratégiques de son entreprise.
- A noter que la Directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, vise aussi bien l’utilisation que la divulgation d’un secret d’affaires.
La Directive devra être transposée au plus tard le 9 juin 2018.
L’article 4 de la Directive dispose que « l’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaires est considérée comme illicite lorsqu’elle est réalisée, sans le consentement du détenteur du secret d’affaires, par une personne dont il est constaté qu’elle […] agit en violation d’un accord de confidentialité ou de toute autre obligation de ne pas divulguer le secret d’affaires ».
A cet égard, selon l’article 2 de la Directive, les informations relevant du secret d’affaires doivent répondre à toutes les conditions suivantes :
« a) elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles,
b) elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes,
c) elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».
Les interrogations sur la portée de la réforme du Code civil se retrouvent à la lecture de la Directive, qui pourrait fortement pénaliser les repreneurs qui ne seraient pas avisés de la portée de l’engagement de confidentialité souscrite dans le cadre de leur projet de reprise.
Auteurs : Annabelle Thieffine, Elodie Khamly et Marine Pourchayre
Voir la version pdf : Actualité sur la lettre d’intention