L’article L442-6 du code de commerce 5° aux termes duquel engage sa responsabilité une société qui décide « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels » est de plus en plus couramment utilisé comme moyen de droit lors des litiges commerciaux.
Cette règle de droit, créée par la loi n°96-588 du 1er juillet 1996 puis modifiée par la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, avait pour but originel d’encadrer la fin des relations commerciales, notamment dans le domaine de la grande distribution où, bien souvent, il n’existe pas de contrat cadre mais une succession de commandes passées par les centrales d’achat et qui, du jour au lendemain, pouvaient tout simplement cesser et préjudicier aux producteurs.
Fort à propos, cette loi a eu un succès plus large encore puisqu’elle est aujourd’hui largement utilisée par les sociétés dont le volume d’activité dépend principalement d’un seul partenaire, lequel, en mettant fin aux relations commerciales existantes, est susceptible de se rendre coupable d’une rupture brutale desdites relations commerciales.
Afin de préserver ces acteurs économiques, l’article L442-6 du code de commerce a imposé le respect d’un préavis raisonnable. Sans que ce point soulève de débats particuliers, les tribunaux ont fixé le point de départ du préavis au jour où le cocontractant informe son partenaire de la fin de leurs relations commerciales (Cass. com., 6 juin 2001, no 99-20.831, Bull. civ. IV, no 112).
On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence d’une telle règle en cas de procédure d’appel d’offres, procédure de plus en plus utilisée par les acteurs économiques.
Prenons l’exemple d’une société A entretenant des relations commerciales avec une entreprise B depuis de nombreuses années. L’entreprise B décide alors de mettre en place une procédure d’appel d’offres afin de sélectionner son nouveau prestataire. Elle informe l’entreprise A de cette nouvelle procédure et lui propose de soumissionner. Durant la période de sélection, il est prévu que l’entreprise A continue d’effectuer sa prestation auprès de l’entreprise B. L’entreprise A sélectionne finalement une entreprise tierce en tant que nouveau prestataire et en informe l’entreprise B.
En suivant le raisonnement de la Cour de Cassation, le délai de préavis de la rupture des relations commerciales courra à compter du jour où l’entreprise A a informé l’entreprise B de son souhait de mettre en place une procédure d’appel d’offres. Ainsi, l’entreprise B sera difficilement condamnable au visa de l’article L442-6 du code de commerce puisque la période de sélection des soumissionnaires dure souvent plusieurs mois.
Pourtant, l’entreprise A, bien qu’informé de la procédure d’appel d’offres, conserve, pendant toute la période de sélection des soumissionnaires, l’espoir de maintenir ses relations commerciales en étant sélectionné dans le cadre de l’appel d’offres. A ce titre, elle va nécessairement continuer à s’investir dans les prestations qu’elle effectue pour le compte de l’entreprise B, l’empêchant de préparer efficacement son redéploiement stratégique et ne pouvant bénéficier à ce titre d’un période de préavis effective.
En refusant de reconsidérer le point de départ du délai de préavis en cas d’appel d’offre, la Cour de Cassation empêche ces entreprises de bénéficier du contenu protecteur de l’article L442-6 du code de commerce alors même que celui-ci évoque un préavis « effectif » qui doit donc s’apprécier de tout rigorisme juridique.
Les contentieux d’appels d’offres fondés sur l’article L442-6 du code de commerce sont encore trop marginaux pour amener la Cour de Cassation à faire évoluer sa jurisprudence. Ce type de procédure est toutefois de plus en plus utilisé par les grandes entreprises et la question du point de départ de préavis jouera grandement dans l’efficacité future de l’article L442-6 du code de commerce.