Confirmant sa jurisprudence antérieure, la Cour de Cassation refuse toujours de sanctionner la rupture abusive des pourparlers dans les reprises d’entreprises ; la victime, potentiel acquéreur ou vendeur malheureux, ne peut guère obtenir que l’éventuelle indemnisation de ses frais, mais rien concernant son manque à gagner ou sa perte de chance de réaliser un gain.
Dans un arrêt en date du 18 septembre 2012 (n° 11-19.629 – Société Sagem c/ Société Paul Boyé Technologies), la Cour de Cassation a donc confirmé sa jurisprudence initiée en 2003 dans l’arrêt « Manoukian » (Cass. com., 26 novembre 2003, n°00-10.243 et n°00-10.949) aux termes duquel le préjudice subi par la victime de la rupture « n’incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains qu’elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de ce contrat ni même la perte d’une chance d’obtenir ces gains ».
La Cour d’appel de Paris a même précisé qu’étaient exclus des frais indemnisables les frais exposés pendant la période de négociation et qui seraient restés à la charge de la cible qu’elle qu’ait été l’issue de cette négociation -CA Paris, 16 déc. 1998, Sté Première Music Group c/ Garzon : Bull. Joly 1999, n° 98, p. 470).
A noter que l’obligation d’indemniser la victime d’une rupture de pourparlers s’applique quel que soit le contrat en cours de négociation ; c’est ainsi que l’arrêt précité du 18 septembre 2012 vise la rupture d’un contrat d’attribution de marché. Il est donc préférable de convenir, en début de négociation, du coût d’une rupture des pourparlers à l’initiative de l’une ou l’autre partie. En pratique, c’est souvent l’acquéreur qui doit se protéger ou tenter de le faire d’une rupture brutale du cédant, dans la mesure où l’acquisition aura nécessité de faire des dépenses notamment liées aux audits dont le cédant n’a pas la charge (encore qu’un audit coûte également au cédant en temps passé, frais juridiques de préparation, audit vendeur, etc.). Le vendeur refusera très souvent ce type de clause ; comme souvent, tout dépendra du rapport de force entre l’acquéreur et le cédant.
Quoi qu’il en soit, cette jurisprudence intéresse et protège toujours les investisseurs dans le cadre des pourparlers faisant suite à la lettre d’intention émise par ces derniers. Ceux-ci ne pouvant être condamnés au titre de la perte de chance de réaliser un investissement dont la société cible pourrait s’estimer victime. Du côté des vendeurs, en effet, on ne voit guère quelle serait la perte de chance qu’ils pourraient être contraints d’indemniser puisque précisément l’objet des négociations étaient la cession d’une entreprise à un prix de marché. L’absence de cession empêche l’acquéreur de réaliser une transaction au prix de marché, dont il ne découle pas une « perte » en tant que telle, du moins dans l’immédiat ; et la perte de dividendes ou d’une plus-value future apparaît trop indirecte pour être indemnisable.
Il est en tout état de cause recommandé aux investisseurs ou acquéreurs de préciser dans la lettre d’intention le montant forfaitaire qui pourrait être mis à la charge de la société cible en cas de rupture brutale des pourparlers, afin de limiter les risques de contentieux.
Ce type de clause n’aura cependant de sens que si l’investisseur dispose d’une exclusivité des négociations avec la cible : à défaut, la cible peut mettre fin à tout moment aux négociations, par construction, et l’investisseur ne pourra toucher aucune indemnité du fait de la rupture.
A l’inverse, la cible a le plus souvent intérêt à stipuler que seuls les frais réellement encourus par l’investisseur sont indemnisables, avec un plafond au-delà duquel la cible ne prend pas de frais en charge.
Annabelle Thieffine / Gaspard Benilan